Fatimata a quitté Titao, sa ville d’origine, sans pouvoir emporter le moindre bien. Désormais installée dans un quartier précaire de Bobo-Dioulasso, cette mère de deux enfants tente de se faire une nouvelle vie. Entre le souvenir d’un voyage risqué et les vicissitudes de son nouveau point de chute, Fatimata est encore sous le choc, à la recherche d’un autre avenir.
C’est une femme meurtrie, la gorge nouée que nous rencontrons ce 10 février 2022 au secteur 24 de Bobo-Dioulasso. Dans ce quartier périphérique non aménagé, encore appelé zone non-lotie où les infrastructures sociales se font rares, cohabitent les habitants du quartier avec une catégorie de citoyens encore moins nantis qui peinent à obtenir un toit en centre-ville. C’est là où Fatimata s’est installée après avoir fui Titao, sa ville d’origine, au nord du pays, en proie à l’insécurité.
« C’est précipitamment que mon mari et moi nous avons fui Titao. A l’origine de notre fuite, les tueries. Les choses se sont détériorées à un moment donné. Nous n’avons pas pu le supporter. C’était chaud. Donc, nous avons fui pour sauver notre vie », raconte Fatimata, le visage triste. Difficile d’arracher le moindre sourire à celle qui confie avoir emprunté d’étroites pistes de brousse sur un vélo pour gagner Ouahigouya, ville la plus proche de Titao, en profitant d’un bref répit dû aux hélicoptères qui survolaient la zone. « Nous avons pédalé sur une distance de 50 kilomètres », précise-t-elle, la voix cassée.
« C’est comme si nous ne vivions pas du tout »
Pour fuir, Fatimata et sa petite famille ont pris le risque de traverser une zone non sécurisée. Sans faire directement référence au terrorisme ou aux groupes armés, Fatimata parle des « tueries (qui) ne faisaient qu’augmenter. Nous avions le dos au mur. Nous nous sommes dit qu’il fallait prendre le risque ». Après deux nuits passées à Ouahigouya, Fatimata débarque à Bobo-Dioulasso avec son époux et un de ses fils, le plus âgé ayant abandonné l’école pour aller chercher du travail en Côte d’Ivoire.
« Je suis arrivée ici sans vêtements de rechange. Nous n’avons pas eu le temps de prendre quelque chose, sinon ils nous auraient tués. Ici, c’est le frère de mon mari qui nous a cédé une petite maison et on se débrouille avec. Sans vêtements, sans nourriture et sans eau, c’est comme si nous ne vivions pas du tout », ajoute-t-elle. Une réalité indigne. Pour autant, Fatimata ne reste pas assise les bras croisés. Elle a mis en place un petit commerce pour faire face aux besoins de la famille.
Sauf que cette activité n’est pas suffisante pour la nourrir. « J’achète le savon et les balais à crédit », commence par raconter notre interlocutrice. « Il faut vendre quatre boules de savons à 200 francs CFA pour avoir un bénéfice de 50 francs CFA. Un balai, nous le prenons à 150 francs (ndlr : le prix d’une miche de pain) et le revendons avec 25 F de bénéfice». Un petit commence que Fatimata n’arrive pas à rentabiliser tous les jours. Ce 10 février, lorsque nous la rencontrons aux environs de 13h, elle n’a pas encore encaissé un franc.
« Je n’ai personne pour causer »
Toute pensive, Fatimata finit par lâcher qu’elle regrette d’avoir abandonné une récolte qu’elle n’était pas loin d’engranger : « là où j’étais, je faisais le maraîchage. Les tomates et les oignons étaient presque à maturité », se lamente-t-elle. Arrivée en étrangère dans une ville qu’elle ne connaissait pas, les difficultés que vit Fatimata sont loin d’être seulement matérielles et financières : « je ne sais où aller et je n’ai personne pour causer ; j’ai perdu tout sens de l’épanouissement ». Le calvaire de Fatimata ne se limite pas là.
Elle est arrivée à Bobo avec son enfant qui était en CE2 qui n’a pas pu être réinscrit dans une école. Une situation qu’elle aborde avec beaucoup de gêne lorsqu’elle explique n’avoir pas pu retirer le dossier de ce dernier auprès de son maître qui a aussi quitté l’établissement pour rester en vie. Et quand nous lui demandons des nouvelles de ses proches, sa réponse est encore pire : « ce qui me fait mal, c’est que nous avons des connaissances qui ont été tuées. Ceux qui sont restés sont ceux qui ne peuvent pas fuir comme nous. Nous qui avons pu fuir, c’est la misère. A y réfléchir, on va mal ».
— Amidou Kabré/Badiel Bazamboé