Il était l’un des militaires négro-mauritaniens expulsés de la Mauritanie en pleine crise sociopolitique de 1989. Installé en banlieue dakaroise après des nuits blanches à Helbir dans la région d’Aleg en Mauritanie, Birame Diallo refuse de retourner sur les traces de ses ancêtres, malgré l’assurance des nouvelles autorités.
Le salon est assez grand et on y trouve deux fauteuils pliants, un sofa, le poste téléviseur et un ventilateur soigneusement disposés. Une photo accrochée au mur renseigne suffisamment sur son métier de militaire. Mais l’uniforme n’est pas semblable à celui des soldats sénégalais. Birame Diallo est en effet de l’armée mauritanienne et y est resté pendant dix ans. Il y a eu des problèmes de racisme vers 1986 faisant que les militaires noirs étaient constamment renvoyés de l’armée.
Comme prétexte, on évoquait souvent la limite d’âge. En vérité, la présence des militaires noirs qui ont intégré les services de l’État lors de la guerre du Sahara dérangeait le nouveau régime. « On nous a poussés vers la sortie, en coupant, entre autres, primes de service et empêchant toute promotion des Noirs », raconte avec une vigueur apparente Birame Diallo, alité depuis plusieurs semaines selon un de ses enfants.
En 1989, « j’ai été chassé de mon propre village », poursuit-il, « et amené de force de l’autre côté de la rive ». Au chômage, Birame Diallo a fait des petits boulots, tenté d’accrocher à nouveau la réussite mais son corps n’a pas résisté au choc. Aujourd’hui et plus que jamais, la force manque cruellement au soldat Diallo dont la couleur de la peau fait de lui persona non grata en Mauritanie, comme quelque 70 000 d’autres personnes.
« Ils sont tous racistes »
Chaque 9 avril est un jour de recueillement pour monsieur Diallo qui dit revoir toujours les premières tensions entre autochtones mauritaniens, puis du sang qui gicle et envahit les rues, ou encore les cellules remplies de Mauritaniens de couleur dont le destin est scellé et voué à la perdition sur place.
Il est arrivé à Dakar en 2000, en « bonne santé », passant d’un job à un autre pour assumer les charges familiales. Au fil des ans, la santé de l’ancien homme de tenue mauritanien s’est effritée, le rendant, sous le faix de l’âge, plus amorphe que jamais. En 2006, Birame Diallo raconte qu’il est tombé malade et a dû subir une chirurgie cardiaque avec le soutien du Haut-Commissariat pour les Réfugiés, l’agence onusienne qui lui avait d’ailleurs payé ses premiers mois de loyer au Sénégal.
« Les évènements de 1989 étaient une stratégie bien réfléchie pour déporter les Négro-mauritaniens », commente Demba Sane, coordonnateur des réfugiés mauritaniens du département de Diourbel à l’Est de Dakar, la capitale sénégalaise. A l’époque, il n’avait que sept ans mais il se souvient des évènements comme si c’était hier. « J’étais à l’école avec mes sœurs », raconte-t-il, « quand on a appris qu’on chassait les Sénégalais. Finalement, ce n’était pas seulement les Sénégalais. C’est devenu une affaire ethnique. Ils disaient tout simplement que les peulhs étaient sénégalais et mon père, qui était berger, et nous avons été forcés de plier bagages. Beaucoup sont retournés au pays bien des années après mais n’étaient ni réfugiés ni Mauritaniens ».
« Les rapatriés ont été inscrits sur des registres nationaux et chaque famille s’est vu attribuer une parcelle et quelques vivres », explique Thierno Sow, Négro-mauritanien installé à Podor dans le nord du Sénégal. Mais Birame Diallo refuse de faire le chemin du retour, trente ans après le massacre qu’il a vu se dérouler sous ses yeux. « Ils sont tous racistes », lâche l’ancien officier de l’armée qui espère un jour toucher du bois malgré ses vieux jours.
« Mon premier enfant a été tué lors des évènements », poursuit-il d’une voix faible, « il avait 14 ans, était parti alimenter le bétail et n’est plus jamais revenu ». Dans ses yeux dont le blanc n’est plus aussi éclatant que ses barbes soigneusement peignées, on sent en revanche une sorte de résilience, cette envie de continuer à vivre, entouré de ses femmes et petits enfants, malgré l’espoir qui s’amenuise.
— Awal Adéchola Adjo (Dakar)