De nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, victimes de crises sécuritaires, doivent gérer et accueillir des personnes déplacées internes. Au Sénégal, les conflits au Sahel et en Casamance sont sources de problèmes similaires à ceux du Mali et du Burkina Faso.

La crise en Casamance, région située au sud du Sénégal, qui dure depuis quarante ans a provoqué l’exode de milliers de déplacés. C’est d’ailleurs la seule plaie béante dans cet îlot de paix en Afrique de l’Ouest que beaucoup d’Africains et même d’Occidentaux se plaisent à visiter ou à y vivre pour diverses raisons. En 2021, les autorités ont lancé une vaste opération militaire pour reconquérir l’intégrité de ce territoire, l’un des plus riches du pays, et neutraliser les rebelles du Mouvement des Forces Démocratiques de Casamance (MFDC) qui se battent pour l’indépendance de la région. Ne revenons pas sur les raisons de ce conflit qui prend d’autres tournures avec les coupes de bois et la culture du chanvre indien. Intéressons-nous plutôt au sort des déplacés qui ont pu retourner chez eux après une trentaine d’années, notamment à la façon dont les médias sénégalais l’évoquent.

Des émissions pour faciliter la réinsertion des déplacés

Amady Khalilou Diémé est le directeur de Génération FM à Ziguinchor près de la Casamance. La radio émet depuis 2018 et touche à toutes les préoccupations de la région dont cette crise provoquée par les combats du MFDC contre l’armée sénégalaise. Amady Khalilou Diémé déclare d’entrée que ses reporters ne couvrent pas les affrontements sur le terrain. Ils sont plus préoccupés par le quotidien des populations civiles, victimes collatérales de cette crise.

Le directeur-journaliste s’est rendu à Bilass, village du Sénégal près de la frontière avec la Guinée Bissau. Une opération de ratissage menée par l’armée sénégalaise a permis de repousser les rebelles qui avaient pris d’assaut la localité bien des années auparavant. Le calme revenu, beaucoup parmi ceux qui avaient fui les représailles des assaillants ont choisi de faire marche arrière. « Mais peu d’entre eux », estime Amady Khalilou Diémé, « avaient les moyens d’assumer leur retour et garantir leur réinsertion ».

Un reportage sur le terrain mettant en avant la situation délétère et l’appel à l’aide des bonnes volontés a suscité l’intérêt d’un Suisse qui s’est proposé de créer un puits dans le village pour faciliter l’accès à l’eau potable. « Il m’a assuré », précise Amady Khalilou Diémé, « que c’était le début d’une intervention sociale qui allait durer longtemps ».

De même, une production réalisée à Bissine, un autre village casamançais, à l’occasion de la Tabaski de 2019 sur des déplacés vivant dans des abris de fortune a fait réagir plusieurs ONG, locales et internationales, et même l’Etat, dans le but de favoriser la réinsertion socioéconomique des personnes concernées. Des vivres ont été fournis aux ménages et les autorités nationales ont mis en place un programme d’identification des victimes pour les inscrire dans le registre national.

L’avantage du terrain face aux « experts » externes

La peur d’être pris au piège des affrontements a fait fuir beaucoup de journalistes qui ont abandonné le terrain. Les antennes locales des radios sénégalaises basées à Ziguinchor envoient de moins en moins de journalistes en reportage pour faire parler les différents acteurs concernés par la crise.

Mais ce n’est pas le cas du directeur de Génération FM. Amady Khalilou Diémé raconte qu’il est né à Ziguinchor et y a grandi. Il a donc cet avantage de connaitre la crise et de savoir « de quoi parler, avec qui le faire et où il ne faut pas se permettre d’aller ». Tout le contraire des radios étrangères qui doivent absolument compter sur quelqu’un du milieu pour aller au bout de la production. « Il arrive dans bien des cas que ces guides ne parviennent pas à aider le journaliste à obtenir ce qu’il souhaite », explique le directeur de Génération FM.

Faute de ressources financières et humaines, beaucoup de radios sénégalaises basées principalement dans les grandes villes sollicitent des experts « casamançais » pour faire comprendre le fonctionnement de la crise, les motivations des rebelles et les réponses des autorités nationales. Cette stratégie n’est pas seulement appliquée à la crise qui affecte le sud du Sénégal. Quand il s’agit aussi d’évoquer le conflit au Sahel avec ses différentes conséquences, de nombreuses radios font appel à des spécialistes qui n’ont pas souvent le flair du terrain.

Beaucoup parmi eux n’y sont jamais allés d’ailleurs et se contentent de répéter les bribes d’informations rapportées par un média ou quelqu’un d’autre. Une autre façon de faire consiste à enregistrer depuis le studio des acteurs sur le terrain sans donc la possibilité d’une vérification des faits. Les proportions parfois exagérées que ces analystes donnent à la crise aggravent la situation sur le terrain et troublent la quiétude des populations.

— Awal Adéchola Adjo (Dakar)