À Bobo Dioulasso, les écoles publiques ouvrent leurs portes aux élèves déplacés internes. Ils sont quelques dizaines (854 dans la province) à poursuivre leurs cursus scolaires dans des écoles d’accueil, après avoir fui la menace terroriste avec leurs parents. Nous avons rencontré certains d’entre eux dans leur nouvel environnement à la périphérie nord de Bobo Dioulasso.

Au beau milieu d’une des salles de classe de CM2 pleine comme un œuf, Aminata, 13 ans, prend part à la composition de fin de semestre. Elle avait débuté l’année scolaire à Barga, son village natal, situé à quelques centaines de kilomètres au Nord du Burkina Faso. Comme elle, ils sont quelques dizaines d’élèves déplacés internes dont l’accueil dans les écoles primaires publiques de Bobo Dioulasso a été facilité par une mesure spéciale du ministère de l’Éducation.

Zéramoussi Handé, directeur provincial de l’Education du Houët - province dont relève Bobo Dioulasso - précise que la prise en charge des élèves déplacés internes dans les écoles les plus proches des familles d’accueil inclue la gratuité à l’inscription, la gratuité des manuels et de la cantine scolaire. « Le paiement des cotisations des parents d’élèves ne doit pas non plus être une condition pour inscrire et maintenir en classe ces élèves », ajoute-t-il.

Conditions allégées

Parce qu’ils ont quitté précipitamment leur village, fuyant les attaques, et parce que leur école d’origine a été fermée par les terroristes, la plupart des élèves arrivent dans les écoles d’accueil sans le moindre certificat de scolarité. L’inspectrice cheffe de la circonscription d’éducation de base (CEB) Bobo II, Constance Somé, affirme avoir donné instruction aux directeurs d’école d’accueillir les élèves même sans certificat de scolarité ou sans acte de naissance, quitte à régulariser leur situation plus tard. « Nous leur avons dit que la priorité, c’est de recevoir l’enfant, de l’inscrire dans la classe souhaitée et de lui trouver une place assise, sans conditions. Pour le reste, on trouvera des solutions », explique-t-elle.

Ainsi, tous les directeurs des écoles primaires de la province ont été appelés à ouvrir les portes de leur établissement, même en pleine année scolaire, à tout élève déplacé interne identifié comme tel, en dépit des difficultés qu’une telle mesure pourrait engendrer tant sur le plan des conditions d’accueil que sur le plan pédagogique. Lesquelles difficultés sont égrenées par l’inspectrice cheffe de la circonscription d’éducation de base Bobo II.

Constance Somé évoque d’abord la surpopulation des salles de classe. Car les nouveaux élèves déplacés internes viennent gonfler des effectifs déjà pléthoriques, surtout dans les classes d’examen (CM2). Les statistiques de la CEB Bobo II à la date du 11 février 2022 font état de 194 élèves déplacés internes recensés. « Tous les grands blocs d’écoles ont inscrit cette année des élèves déplacés internes. Il y a donc des élèves déplacés internes aussi bien dans les écoles de la périphérie que dans celles du centre-ville », explique Constance Somé qui précise que l’école primaire publique Colma Nord A est l’une des écoles avec le plus important effectif d’élèves déplacés internes.

Classes surchargées

Nous mettons le cap sur l’école Colma Nord A, située à la lisière nord de la ville de Bobo Dioulasso, à la sortie vers Dédougou. Nous y arrivons peu avant 17 h, heure de la fin de la classe. Les salles grouillent d’écoliers surexcités devant nos cameras. Un coup d’œil par la fenêtre nous permet de constater la pléthore d’effectifs. Les élèves déplacés internes, on en compte dans presque toutes les classes, mais les classes de CM2 sont celles qui en reçoivent le plus grand nombre. Zackarie Ouédraogo, enseignant à Colma Nord A nous explique que la direction de l’école a dû scinder la classe de CM2 pour en faire deux classes de 65 élèves chacune à peu près. « Mais il se pose aussi un déficit d’infrastructures », ajoute l’enseignant de CM2 qui regrette que l’accueil presque forcé des élèves déplacés internes n’ait pas été suivi de mesures d’accompagnement pour permettre aux écoles de s’adapter à la nouvelle situation.

Le directeur provincial de l’Education nationale du Houet reconnait lui aussi que, même en temps normal, les effectifs sont pléthoriques dans les écoles publiques de la ville de Bobo Dioulasso. « Le flux d’élèves déplacés internes va nécessiter la construction de nouvelles salles de classe dans les écoles, ou même de nouvelles écoles, l’achat de tables-bancs, etc. Nous en avons déjà parlé à nos supérieurs et j’ai le sentiment que ces doléances seront prises en compte dans les meilleurs délais », nous confie-t-il, optimiste. Et d’ajouter qu’une solution est envisagée à très court terme avec des salles de classe préfabriquées qui seront installées dans les écoles d’accueil.

Cantines sous-alimentées

Ces effectifs supplémentaires constituent aussi un imprévu dans la gestion des manuels scolaires. Car la dotation en « cartable minimum » offerte par l’Etat ne tient compte que des effectifs déclarés en début d’année. « Rien n’est donc prévu pour les élèves déplacés internes qui arrivent très souvent sans la moindre fourniture scolaire et qui prennent l’année scolaire en cours », explique l’inspectrice cheffe de la circonscription de Bobo II.

Les écoles d’accueil doivent aussi faire face à une insuffisance de vivres destinés à alimenter les cantines scolaires car les dotations n’ont pas tenu compte des nouveaux venus qui partagent bien évidemment les repas avec l’ensemble des élèves. « La conséquence est que les vivres déjà livrés dans les écoles vont s’épuiser avant la fin de l’année », s’inquiète le directeur provincial de l’Éducation nationale Zéramoussi Handé qui espère que des partenaires tels que les ONG interviendront pour approvisionner les magasins en vivres afin de permettre à tous les élèves d’être servis à la cantine jusqu’à la fin de l’année.

Témoignages d’élèves déplacés

Fazia, 12 ans, originaire de Kiembara (Boucle du Mouhoun). « Je suis venue avec d’autres enfants et me retrouve dans la ville de Bobo Dioulasso où je suis inscrite à l’école de Colma Nord A. Je préfère rester dans cette ville et dans mon école d’accueil. Je rêve d’avoir de bonnes notes. »

Moumouni, 15 ans, originaire de Barga (Nord). « Je suis venu à Bobo Dioulasso parce qu’il y a grève dans mon école qui a fermé. Je me suis déplacé avec mes parents. Je m’amuse bien dans ma nouvelle école où je joue au ballon à la récréation. Quand je serai grand, je serai enseignant. Je suis en CM2. »

Yssouf, 16 ans, originaire de Titao (Nord). « Je suis arrivé à Bobo Dioulasso parce que les djihadistes ont fermé toutes nos écoles, y compris la mienne. Je ne sais pas pourquoi ils ont fermé mon école. Je me suis déplacé seul et je me suis réfugié chez mon oncle à Bobo Dioulasso. Même si l’école de Titao rouvre, je préfère rester à Bobo Dioulasso à cause des menaces djihadistes. On ne joue pas trop à la récréation, souvent on se met sous les arbres pour faire des petits jeux. Certains de mes plats préférés à Titao comme le riz et les haricots me manquent ici. Je serai médecin à la fin de mes études parce que j’aime soigner les gens. »

Aminata, 13 ans, originaire de Barga (Nord). « J’ai quitté Barga pour venir à Bobo à cause des djihadistes qui ont fermé l’école dans laquelle j’étudiais en CM2. Je me suis déplacée à Bobo avec mes parents et je m’habitue à ma nouvelle école. À Barga, on jouait au jeu de la marelle. Dans mon école de Bobo, on ne joue pas et ça me manque. Je serai enseignante à la fin de mes études car j’aime enseigner aux autres. Je vais enseigner à mes camarades d’ici des jeux que l’on jouait à Barga. » Aussitôt dit, aussitôt fait. Aminata se plie à une démonstration de la marelle… que les élèves de Bobo connaissent et reprennent en riant.

— Paul-Miki Roamba/Fiston Mahamba Wa Biondi