La ville de Bobo-Dioulasso, à l’instar d’autres villes du Burkina Faso, accueille de nombreuses personnes déplacées internes (PDI). Selon les chiffres du Conseil national de secours d’urgence (CONASUR) la commune compte à ce jour 5 166 PDI. À Lafiabougou, un quartier périphérique de la ville, une centaine de PDI a trouvé refuge dans des familles d’accueil. Reportage chez Salam Boena.
Salam Boena, 45 ans, réside depuis une quinzaine d’années à Lafiabougou, un quartier périphérique de la ville de Bobo-Dioulasso. Il a accueilli chez lui dix-sept personnes déplacées internes issues de trois villages (Pétégoli, Toulfé et Bahabo) des régions du Nord et du Sahel au Burkina Faso. Marchand ambulant de son état, il a dû louer six maisons à raison de 7 500 F CFA par mois dans cette zone à habitats spontanés communément appelée non lotie, pour héberger ses frères, ses beaux-frères, ses neveux et ses tantes. Dans sa concession construite en banco, le chef de famille partage une maison avec ses deux épouses tandis que l’autre est occupée par ses cinq enfants, sa mère et sa tante. Ces deux dernières sont pratiquement les gardiennes de la concession du fait de leur âge très avancé.
« Ceux qui sont restés ont tous été tués »
En cet après-midi du jeudi 10 février, elles tentent de vaincre la solitude à travers de petites causeries et en chassant les moutons et les poulets qui s’aventurent dans la farine étalée au soleil pour le repas du soir. La mère du marchand ambulant Nopoko Ganamé, 71 ans, déclare qu’elle a eu de la chance de ne pas être une victime du terrorisme. La veille de l’attaque de son village Pétégoli, elle a parcouru des kilomètres à pied pour rejoindre un autre village où Salam Boena l’attendait avec bien d’autres personnes.
« Mon fils a loué un car pour nous amener à Lafiabougou. Ceux qui sont restés à Pétégoli ont tous été tués », raconte-t-elle. Kadiata Boena, la tante du chef de famille a aussi rejoint Lafiabougou en fuyant son village dans les mêmes conditions, il y trois ans. Dans sa précipitation, elle n’a pas eu le temps de prendre même un ustensile de cuisine. Seuls quelques habits de rechange qu’elle a pu apporter avec elle. Dame Kadiata dit ne pas tenir rigueur des conditions d’hébergement. « L’essentiel est que je sois en vie. Pour le reste, nos prions Dieu de nous venir en aide », implore-t-elle, le regard orienté vers le ciel.
« Ce n’est pas du tout facile »
La cour de Salam Boena est le point de convergence de tous les membres de sa famille. Pendant que les adultes vont le soir dîner chez lui, tous les enfants viennent le matin y prendre le petit déjeuner fait de bouillie de farine de maïs ou du reste de la nourriture de la veille. À cela s’ajoute la prise en charge sanitaire que le marchand ambulant doit honorer. « Il faut acheter régulièrement des médicaments parce qu’il y a des enfants qui tombent tout le temps malades. Ce n’est vraiment pas du tout facile », dit-il l’air mécontent.
Vu le poids de la charge, M. Boena s’est vu obliger de déscolariser sept enfants pour mettre l’accent sur l’alimentation de la famille. Ils ont dû abandonner l’école faute de moyens. « La première année, j’avais suspendu la scolarité de trois enfants. Cette année, j’ai fait suspendre la scolarité de deux autres. Puis encore de deux autres. Parmi eux, l’un apprend la mécanique dans un garage auto et l’autre, une fille travaille dans un atelier de couture », ajoute-t-il.
« Faire la queue pour être embauché »
Dans la cour voisine, Rasmané Korogo, un cousin de Salam Boena, vit dans une maison composée d’une chambre et d’un salon avec sa femme et ses huit enfants. Installé à Kaya après avoir fui son village, il a rejoint son cousin par manque de moyens pour prendre en charge sa famille. Aujourd’hui, il joint les deux bouts en faisant parfois de la manutention dans une usine où il est rémunéré 1500 F CFA par jour.
« Quand je ne suis pas recruté, ma famille risque de ne pas avoir son unique repas du jour. Pour avoir la chance d’être embauché à l’usine, il faut faire la queue dès la veille pour espérer être parmi les premiers », confie-t-il. Rasmané Korogo ajoute qu’il lui arrive d’offrir ses services en creusant des fosses septiques où il est payé 750 F CFA. Son épouse Mariétou Sawadogo lui vient souvent en aide en partageant la recette de sa lessive. « Tous les matins, je fais du porte-à-porte dans la ville de Bobo-Dioulasso pour laver les habits des gens. Je gagne en moyenne 1000 F CFA par jour. J’avoue que le travail n’est pas facile, mais je n’ai pas le choix », explique-t-elle.
« Des habitants font preuve d’humanisme »
Salam Boena révèle que depuis qu’il a reçu des PDI, il n’a obtenu que deux fois une aide du service de l’action sociale. Selon la directrice provinciale du ministère de l’Action humanitaire Bernadette Belem Yaméogo, la prise en charge des PDI débute par un comptage rapide pour connaitre le nombre de personnes déplacées, et pour les cas urgents, apporter des vivres et trouver des logements.
« La particularité au niveau de la province du Houet est que nous n’avons pas de site d’accueil. Ce sont les populations hôtes qui s’organisent pour accueillir les déplacés. Certains ont déjà des familles dans lesquelles ils viennent s’installer et là on les appuie. D’autres trouvent l’hospitalité par des connaissance ou chez des habitants qui font preuve d’humanisme », explique-t-elle. En attendant, Salam Boena continue de broyer du noir espérant toujours le soutien de la direction provinciale du ministère de l’Action humanitaire.
— Paténéma Oumar Ouédraogo/Abdoulaye Bombouya